17 juillet, 2006

Samedi 10 juin


Anvers, sa cathédrale, ses diamantaires, ses petites rues pavées. Son port surtout, le quatrième du monde pour le trafic international de marchandises, le dixième pour le trafic de conteneurs. Un réseau de transport interne d'environ 270 km de routes, 1000 km de voies ferroviaires et 300 km d'oléoducs. Un réseau qui donne des sueurs froides aux chauffeurs de taxi. Le mien est georgien, vit à Anvers depuis douze ans, parle anglais, flamand, un peu de russe. Et met une bonne heure, en se perdant à plusieurs reprises, avant de trouver le bon quai. C’est un pêcheur qui nous renseigne à l’aide d’une carte détaillée du port.

Quai 869


Quai 869 pour moi qui m’apprête à embarquer sur l’Eilbek, porte-conteneur allemand faisant la liaison entre Anvers et Montréal, via Liverpool au retour. Le cargo vient d’arriver. Les deux passagers sont encore sur le bateau. Un retraité de Toulouse, un peu déçu de ne pas avoir essuyé de tempête sur l’Atlantique. Et Florence, une mathématicienne bossant au CNRS à Strasbourg, décidée à rendre les dernières heures de son voyage excitantes, histoire d’oublier un retour en France redouté après cinq mois passés à l’université de Pittsburgh aux Etats-Unis.

Quatre passagers, vingt-deux marins


Sharon, le steward, est content. Un Philippin, comme la plupart des membres de l’équipage qui compte aussi un Estonien, un Letton, un Ukrainien et un apprenti allemand. Sharon offre une boite de Leonidas à tous les nouveaux passagers. On est quatre en plus des vingt-deux marins à bord, dont cinq officiers et le capitaine. Jean-Luc, un Français installé à Montréal, qui s’apprête à vivre sa sixième traversée et ne jure plus que par les voyages en cargo. Anne, jeune Française, immigrante sur le point de démarrer une nouvelle vie au Canada et souhaite faire de ce voyage une transition entre ses deux vies. Klaus, un Allemand de 64 ans, qui vit là le rêve de sa vie. Adolescent empêché de prendre la mer par ses parents, il fait l’aller-retour, soit trois semaines de mer.

Du cambouis et une centrale nucléaire, le rêve!


Moi, enfin, qui vais passer une année au Canada, un visa vacances-travail, tout un programme, dans la poche. J’ai toujours été attirée par les paysages industriels, le cambouis, les salopettes d’ouvriers et les moyens de transport en général. Là, j’ai la mer en plus. Mieux, l’océan. Cerise sur le gâteau, il y a même une centrale nucléaire juste en face, de l’autre côté de l’Escaut. Je ne vois pas les fumées qu’elle crache de ma cabine, la numéro 3, deck 10, après avoir monté l’équivalent d’un immeuble de quatre étages. Règle à retenir : éviter d’oublier son appareil photo dans sa chambre. En même temps, monter les escaliers intérieurs et extérieurs du bateau constitue l’un des seuls exercices physiques pour les passagers du cargo. Du pont d’amarrage jusqu’à la timonerie, tout en haut, c’est environ trente mètres d’escaliers.

Montréal au lieu de Saint-Petersbourg

L’Eilbek 2005 devait à l’origine assurer la liaison Anvers Saint-Petersbourg, soit quatre jours de voyage environ. Il appartient à la compagnie Hapag-Lloyd, l’une des plus importantes en Allemagne. Une compagnie qui possède surtout ses propres navires. Deck 4, un sauna et un vélo d’appartement sont à la disposition de l’équipage et des passagers. « Insuffisant pour les traversées transatlantiques, dit la capitaine. Il manque une piscine et un bar. » Prévu pour aller jusqu’à Saint-Petersbourg sans aide de brise-glace, l’Eilbek n’a aucun problème en revanche pour circuler l’hiver dans le Saint-Laurent.

Le plein à domicile


16h. Une barge s’approche, manœuvre pour se coller au cargo. Ça se passe comme ça dans les ports marchands. Les bateaux ne vont pas à la pompe à essence, la pompe à essence vient aux bateaux. Il faut plusieurs heures pour remplir les 800 tonnes du réservoir.

17h30. Dîner. On mange tôt sur un cargo. Petit-déjeuner entre 7h30 et 8h30, déjeuner entre 11h30 et 12h30. Jean-Luc salue le capitaine avec qui il a fait le voyage aller il y a trois semaines. Le capitaine, Knut Wolters, veut passer par le nord de l’Ecosse plutôt que par la Manche. On se rapprochera des icebergs visibles au large de Terre-Neuve. On n’en est pas encore là. Toujours à quai dans le port d’Anvers. C’est samedi soir sur la terre belge. Et l’odeur des bars alléchante. Le capitaine propose une virée dans le centre ville avec un des officiers, allemand de Hambourg lui aussi. Jean-Luc nous accompagne. Offre une petite visite… de l’ancien port où apparellait les ancêtres de l’Elbeik il y a encore quelques années. Quand une sortie en ville ne coûtait pas 50€ de taxi ! A la terrasse d’un bar, on tombre, par hasard, sur Florence qui passe la soirée avec nous. Comme pour faire durer un peu plus le plaisir de sa traversée.

Dimanche 11 juin


7h45. Réveil un peu douloureux après les bières de la veille. Dans la lumière du matin, le sabord offre une vue large et colorée sur les conteneurs. Combien ? 1600 au maximum, dit le capitaine. Au fur et à mesure que le temps passe, le déchargement du navire est repoussé. Annoncé dimanche matin, puis dimanche après-midi. A 21h, il n’a toujours pas commencé… Le départ est prévu lundi matin.

Doy, un des deux officiers philippins, nous fait visiter le bateau, précise les coins interdits, sauf accord du capitaine. Autant dire que le passager ne maîtrisant pas quelques notions d’anglais se retrouve vite largué. Sans amarres. Les consignes de sécurité - éviter par exemple le pont d’amarrage au départ et à l’arrivée- sont ponctuées d’anecdotes effrayantes. Tel marin dont la jambe a été coupée par un revers brutal de la corde d’amarrage, tel autre qui a perdu l’extrémité d’un doigt pris dans une des lourdes portes du navire.

Les cartes à l'ancienne


Midi. Dans le mess des officiers, Sharon est très curieux, me demande pourquoi j’ai les cheveux si courts. J’évite la plaisanterie à la con sur le style « goudou land », me contente d’un sobre « c’est plus pratique ». Il se marre en caressant sa coupe en brosse. Avec le cuistot, Sharon est un des premiers et un des derniers à travailler chaque jour sur le cargo. Douze heures de travail par jour.

A l’intérieur, la clim crache un air glacé. Dehors, le soleil cogne. Une journée à glander, mais sans tanguer. Et un gros coup de barre après le déjeuner. Au loin, le ronronnement des grues qui continuent leur ballet sur le port. A côté, la centrale nucléaire crache toujours ses poumons. L’Escaut fait queques vaguelettes, juste pour rappeler son existence. Je monte à la timonerie, deck 13, que l’on appelle le « bridge » à bord. Le dernier étage de l’immeuble. Nico, un officier philippin prépare la route du lendemain à l’aide de cartes, crayon papier et compas. Un doublon plus fiable en cas de panne du système informatique.

Le ballet des conteneurs


22h. Le soleil se couche, mais c’est l’heure, finalement, du déchargement et chargement. Ça va durer jusqu’à 8h du matin. Un puzzle géant à mettre en place, retirer les conteneurs en provenance de Montréal et de Liverpool, placer ceux en partance pour l’Amérique du Nord. Pas n’importe comment. Les plus lourds au fond du cargo, les toxiques à éloigner de leurs congénères, histoire d’éviter un mélange dangereux. Sur le port, c’est un ballet de grues mobiles, de machines géantes auprès desquelles les dockers ont l’air de Playmobils. Certains conteneurs laissent voir… leur contenu. Des tracteurs John Deer tous neufs, flambant vert. En cargo, on est au cœur de la mondialisation. Pas celle des opérations boursières abstraites. Mais celle qui sue et tache. Je viens de lire un chiffre dans le Guide des voyages en cargo : 98% du trafic mondial des marchandises s’effectue par bateau.

Lundi 12 juin

9h15. Lentement, on largue les amarres. Tout en douceur. A tel point qu’Anne, dans sa cabine, ne s’en est même pas rendu compte. La route du Nord de l’Ecosse est confirmée. Les dépêches envoyées par email au capitaine pour tenir l’équipage au courant des actualités internationales parlent d’une collision entre deux tankers dans la Manche. Ce n’est pas ce qui tracasse le capitaine qui cherche moins à éviter l’autoroute bondée de l’English Channel qu’à bénéficier du vent arrière. Deux dépressions sont prévues au Nord de l’Ecosse, entre lesquelles il faudra passer. « Un pari à chaque fois, dit le capitaine. Des fois, on l’évite, des fois non. » A bord de la timonerie, un pilote du port d’Anvers est chargé de guider le cargo à travers le trafic. Jusqu’à la fin de son service… qui arrivera plus tôt que la sortie du fleuve. Pas grave, un collègue la joue Hawaï police d’Etat, abordant le bateau de 169 mètres sans que celui-ci s’arrête. On croise des péniches, des voiliers, même un vieux grément hollandais de la brown fleet, ainsi nommé à cause des ses voiles marron. En quelques minutes, on est passé aux Pays-Bas. On met environ trois heures pour sortir de l’Escaut.

Le capitaine Knut


Le capitaine grille ses clopes dans la timonerie climatisée, s’étouffe en riant. Un peu ours au premier abord, charmant pourtant. Quarante trois années de navigation dans les pattes. Un début en bas de l’échelle, comme apprenti, en 1963. Un titre de « master » obtenu en 1978. ça se faisait comme ça à l’époque. Quand on lui demande les coins du globe où il a été, il se gratte la barbe. « Tu ferais mieux de me demander où je n’ai pas été : l’Afrique de l’Est, l’Afrique du Sud, l’Antarctique. J’ai fait l’Arctique à bord d’un bateau parti explorer des sources de pétrole. Avant, je voulais faire le tour du monde. Aujourd’hui, traverser l’Atlantique, c’est chiant ! »

Bateau, boulot, dodo


De la timonerie, on a la meilleure vue de tout le bateau, mais sans l’air pur du grand large. Pour aller le chercher, il faut emprunter une passerelle étroite au-dessus du vide et retrouver la passerelle extérieure. De là, on domine la cargaison et l’horizon. On bronze aussi. Bref, tous les avantages d’une croisière sans les inconvénients. Les marins en combinaison orange sont tout petits et toujours occupés. A poncer, nettoyer, fixer, recouvrir de peinture la rouille qui apparaît ici ou là. Travailler, manger, dormir. L’équipage démarre à 6h, a droit au petit déj à 7h30, à une pause café à 10h30, au lunch à midi. Et s’arrête de travailler vers 17h en général. Cest le lot des marins partis 9 mois en mer loin de leur famille. Après, ils auront droit à un séjour de deux mois à terre, aux Philippines ou ailleurs.

Tout est plus beau vu d'un bateau


Comme un paysage blanchi par la neige, tout est plus beau vu d’un bateau. Et puis, un navire marchand, c’est lent. C’est un voyage dans le voyage. Un voyage qui peut se suffire à lui-même, sans nécessité d’aller quelque part. Jean-Luc, lui, a décidé de prendre le temps de vivre et de voir. Partout, tout le temps. « Je ne veux pas mourir riche, je veux mourir heureux » est une de ses phrase fétiches. Heureux comme Ulysse qui a fait un long voyages et vu cent paysages. Mais c’est plutôt une phrase de Nietzsche qui lui vient à l’esprit, tirée du Voyageur et son ombre : « On a oublié de leur dire qu’il y avait, en route, de beaux points de vue… » C’était avant l’avion et le tourisme de masse. Sur un cargo comme ailleurs, on vit de perspéctives.

Les heures passent dans L'Escaut


Les heures passent. Je ne sais pas si c’est le roulis ou l’effet de l’immensité. Toujours est-il que le sommeil prend fréquemment sur un bateau. Assis, on s’endormirait presque n’importe où. Ça tombe bien : il fait beau et chaud. Et il y a une plage. Sur l’Eilbek, c’est le deck 7, le parc récréatif réservée aux officiers et aux passagers, pourvu de transats, qui reçoit, quand même, de temps à autre, les effluves des cheminées du bateau.

Question sommeil, Anne est encore pire que moi. Elle passe toute la nuit et une bonne partie de la journée à pioncer dans sa cabine. On vient à peine de partir, mais on se sent déjà très loin. Loin des sonneries de téléphone portable et des résultats de la coupe du monde de foot. L’avantage sur un cargo, c’est qu’on vous fiche ssla paix. Un bonheur comparé aux croisières s’amusent qui sollicitent constamment les passagers à coups de bingo, de leçon de karaté ou de cours de danse. Jean-Luc en a fait l’expérience aux Bahamas. «Environ 3000 personnes à bord, aucune minute à soi. Des activités qui s’enchaînent, comme s’ils avaient peur que les passagers s’ennuient». Sur un cargo, c’est tout le contraire. Le rien est roi. Le vide est tout. Le silence, malgré le ronronnement des machines, fait tout l’intérêt du voyage. Fortement déconseillé aux personnes qui s’ennuient en leur propre présence.

Mardi 13 juin


On a reculé d’une heure ce matin et on fera de même chaque jour pour se mettre tranquillement à l’heure de la côte est canadienne. Pas de décalage horaire à l’arrivée, c’est toujours ça de gagné. 8h30. On longe la côte est de l’Ecosse, la mer est calme et le ciel clair. Sur le pont extérieur de la timonerie, côté ouest, on se prend le vent en pleine gueule. Mais ça vaut le coup de passer à l’avant. Là, un vrai spectacle attend le passager. Le ballet des peintres, suspendus en l’air sur des balançoires reliées à des cordes elles-mêmes attachées au bastingage, remettant une couche de blanc sur « la tour » du cargo. Dans un équilibre qui rappelle les ouvriers construisant les gratte-ciel new yorkais sur les vielles cartes postales en noir et blanc. Pour être marin, il faut aussi être grimpeur.

Amador, le cuistot


10h30. Dans la cuisine, deck 7, Amador le cuistot prépare une soupe à l’oignon pour le midi. Philippin lui aussi, plus de 10 ans de mer et une expérience de cuisine sur des sites d’extraction pétrolière en Lybie et en Arable Saoudite qui employaient des centaines de Philippins. Amador me sort une blague : « Pourquoi les Chinois ont-ils les yeux bridés ? » Devant mon air interrogatif, il se lance : « Parce qu’ils se tiennent toujours comme ça à table », fait-il, le menton dans les mains, étirant les yeux avec ses doigts.

A bord de l’Eilbek, il commence tous les matins à 6h, fait une pause d’une heure trente à 13h, et reprend son service jusqu’à 19h30. Tout ça pour 1500$ américains par mois, plus que ce qu’il pourrait jamais gagner en travaillant dans son pays. Après neuf mois de mer, il retrouvera sa famille dans la banlieue de Manille. Amador s’adapte à la nationalité des officiers. Charcuterie le matin, eggs&bacon, saucisses pour le petit-déjeuner des Allemands. Plutôt riz pour les marins philippins. Mais à part le matin où les goûts diffèrent, tout le monde a droit au même repas, mix de cuisine européenne et asiatique. Où les beignets aux crevettes croisent steaks saignants et choux de Bruxelles. Les six plaques chauffantes, le four, les planches à découper… C’est l’univers d’Amador, d’où il ne peut que rarement s’échapper.

Doy, officier philippin


Il y a une chose qu’on ne peut manquer de remarquer. Les deux officiers philippins, Doy et Nico, ne mettent jamis les pieds au mess des officiers. Quand je demande pourquoi à Doy, il me répond franchement : « Je ne me sens pas à l’aise. Je préfère manger avec les autres Philippins… Mais tu peux manger là si tu veux. » La hiérarchie a beau être de son côté, il agit comme s’il était « inférieur ». Le cul entre deux chaises. Comme s’il avait intériorisé une autre hiérarchie, non dite, entre le Nord et le Sud.

Pentland Firth, Nord de l'Ecosse


13h. Le capitaine appelle pour nous dire de monter. Le cargo passe entre le Nord de l’Ecosse et les îles Orkney. Sur la carte, ça s’appelle le Pentland Firth et le courant est fort et en notre faveur, est-ouest. Les falaises laissent la place à une bande de terre toute verte. Les nuages ont gagné la bataille. Un clocher émerge au loin.

Sur la carte, le chemin le plus court entre Anvers et Montréal est un trait bien droit. Dans la réalité, c’est une courbe qui remonte vers l’Islande et le Groenland et redescend vers Terre-Neuve. On a trop tendance à l’oublier : la terre est ronde.

Les marins-peintres (suite)


Les marins-peintres ont repris leur travail, cette fois de l’autre côté de la tour, à l’arrière, à l’abri du vent. Pas pour longtemps, car les embruns viennent ruiner leurs efforts. Je mitraille avec mon appareil photo numérique, avec l’argentique aussi. Plus proche de l’eau que ce matin, le spectacle est encore plus impressionnant.

Un des marins me demande s’il pourra transférer les photos sur son ordinateur portable. Je ne tombe pas des nues, mais presque, en découvrant que le prolétariat maritime est aussi bien équipé que moi. Prise en flagrant délit de préjugé, comme si tous les bras du navire étaient forcément misérables. Jean-Luc nous a parlé d’un précédent voyage entre Montréal et Gênes, sur un cargo où les marins touchaient 160 US$ par mois pour seize heures de travail par jour. Une misère. Mais une image à laquelle j’ai immédiatement acquiésé tellement elle entre dans mes schémas de pensée. Ce n’est pourtant qu’une partie de la réalité. La réalité de l’Eilbek, enregistré à Hambourg et battant pavillon allemand, est moins moche.

Le vent, les vagues


Jean-Luc passe beaucoup de temps dans sa cabine. Chaque voyage en cargo est pour lui l’occasion d’écrire des pièces de théâtres qu’il fera lire ensuite à des amis, mais qu’il n’a jamais tenté de publier. Il en profite aussi pour lire le projet de constitition européenne rejeté l’année dernière par les Français. Une chambre à soi, la condition sine qua non pour penser et écrire selon Virginia Woolf. Sur un cargo, même le pont est à soi.

La mer veut nous impressionner. Le ciel se couvre. L’air se refroidit. Debout sur le pont 7, je note, en vrac, le goût du sel sur mes lèvres, ce sel qui se dépose partout sur le bateau et colle aussi à mes semelles, le nuage qui sort de ma bouche, l’horizon qui se rétrécit… Ecouter le piano et l’accordéon de Yann Tiersen qui épousent les mouvements du bateau. Le cargo est avant tout un plaisir solitaire.

Rompre la monotonie du voyage

On -les trois passagers français- est toujours les derniers après le dîner, Georg, l’ingénieur en chef, nous propose un verre de vin en regardant le concert d’Il Divo, un quatuor international de chanteurs d’opéra. Georg l’a déjà vu une centaine de fois. Plus aucun officier n’a envie de l’accompagner. Mais Georg, grand amateur d’opéra -encore un cliché à balancer par dessus-bord- a surtout envie de parler. Du cargo, de son travail, de la vie à bord. Si les passagers peuvent être une charge, ils rompent aussi la monotonie du voyage. Le porte-conteneur, c’est pour gagner de l’argent. Ce qu’il aime, c’est embarquer sur des navires de recherche, comme la fois où, dans les Caraïbes, il était entouré de scientifiques et ingénieurs chargés d’installer des câbles de télécommunication sous-marins, à quelque 2000 km de pronfondeur. Georg a commencé à naviguer à 16 ans, comme apprenti.

Le cargo tangue de plus en plus. Je garde mon verre à la main par précaution. De retour dans ma cabine, je suis bien contente de pisser assise. Je pose tout par terre, l’ordinateur portable, les bouquins, l’appareil photo. Chaise, table, chaîne Hi Fi, tout est solidement accroché.

Mercredi 14 juin


Peu dormi à cause de la houle et des tremblements du bateau. Le matin n’a pas apporté de répit. Le ciel est toujours gris, la houle toujours aussi forte. Mais ça se confirme : je ne suis pas sujette au mal de mer. Je renonce quand même à la douche. Trop risquée. Le déjeuner est périlleux. Les nappes antidérapantes ont remplacé celles en tissu. Jean-Luc n’a pas pu se raser ce matin et a effectivement pissé assis. Anne a fait une découverte importante : la position allongée est de loin la meilleure !

A la timonerie, Doy est de quart. On est au sud de l’Islande, la dépression, elle, devant nous, plus proche du Groenland. Un vent force 6. L’échelle de Beaufort en compte 12 . Je ne vois pas très bien ce que ça représente. « Entre 22 et 27 milles marins à l’heure », précise Doy. Sachant qu’un mille marin équivaut à 1852 mètres, la vitesse du vente oscille entre 40 et 50 km/h. Par force 12, au-delà de l’ouragan, Doy a perdu vingt conteneurs dans le Pacifique. On en est loin, même si la mer est « rough ».

Le mauvais temps réduit encore un peu plus les activités possibles à bord. Le vélo d’appartement, qui n’est déjà pas très folichon en temps normal, est déconseillé. Un accident de vélo sur un bateau, ça craint. Difficile aussi d’écrire ou de lire. Je dors toute la journée… jusqu’au dîner de 17h30.

Salle des machines


Georg nous propose une visite de la salle des machines, interdite habituellement aux passagers. Un monde sous-marin qui commence à partir du deck 5, dans la salle de commande informatique. Ils sont cinq à travailler là, dans un environnement plus stable que dans les « étages de la tour », mais oppressant, où la seule lumière est artificielle. Le bruit, lui, ne l’est pas. Tous travaillent avec un casque anti-bruit sur les oreilles. On nous file des bouchons d’oreille pour la visite.
Dans les sous-sols du bateau, c’est le monde de la démesure, à la Métropolis. On se sent tout petit à côté du moteur énorme qui pèse plusieurs tonnes. Consommation journalière : 62000 litres de fuel, de la plus mauvaise catégorie, celle des fonds de baril. Ça cause pourtant moins de dommage à l’environnement que l’avion. Ce qui frappe, c’est la propreté. Encore un cliché à mettre aux oubliettes. Les escaliers, les machines, les barrières… Tout est nickel. L’assistant nettoie un pont chaque jour. Il y en a cinq.

Salle des machines (suite)


On suit Georg dans les entrailles de la bête, faites de pompes, de turbines, de pistons. Le cargo est même équipé d’un système d’usinage, pour fabriquer les pièces dont ils auraient besoin en cas de réparation. Et fabrique l’eau dont a besoin l’équipage. Vingt tonnes par jour, retraitée, purifiée, « meilleure pour la santé que l’eau achetée au supermarché », déclare Georg. Comme la plupart de ses collègues, l’ingénieur en chef est contractuel. Les personnes qualifiées manquent tellement qu’elles sont en position de force face aux compagines maritimes. Après 6 mois de repos sur terre, il reprendra la mer sur un autre cargo. A chaque fois, il faut s’adapter à un nouvel environnement, une nouvelle salle des machines. Un nouvel équipage. Sur l’Eilbek, en pleine nuit, il a trois minutes pour descendre de sa cabine, au pont 11 quand l’alarme le réveille. Ça arrive assez souvent, pour des problèmes mineurs en général. S’il n’est pas là avant les trois minutes, l’alarme générale réveille tout le bateau.

Jeudi 15 juin










Nuit aussi agitée que la précédente au dehors, mais meilleure en ce qui me concerne grâce à deux nouveaux éléments : les bouchons d’oreilles ramenés de la salle des machines et le sommeil perpendiculaire. C’est Jean-Luc qui m’a expliqué l’utilité de la banquette, toujours perpendiculaire au lit dans les cargos. Selon les mouvements du bateau, l’un ou l’autre est plus ou moins confortable. La banquette est en tout cas trop étroite pour passer son temps à rouler d’un bord à l’autre. Le vent est descendu d’un cran. Force 4, me dit Nico à la timonerie. On l’a en pleine face. Les vagues continuent de se fracasser sur l’avant du cargo. On est encore au sud est du Groenland. Dehors, le ciel est moins sombre, mais la houle empêche de marcher droit et fait pencher dangereusement le thé dans la tasse. Je prends une douche, en me tenant à la barre intégrée. L’impression d’être à la maison de retraite avant l’heure.

Barbecue à bord


Le capitaine donne des ordres pour un barbecue ce soir sur le pont 7. Il est midi, on salive déjà en attendant l’événement. Dans ces journées qui s’étirent à l’infini -on fait route vers le nord-ouest, repoussant toujours le coucher du soleil-, les repas constituent les seuls points de repère. Dehors, une éclaircie. Mais encore aucun autre bateau à l’horizon. On est seul dans un grand jacuzi.

Dans le couloir venteux du pont 7, Amador et Sharon préparent le barbecue. Un truc géant dont les roulettes ont été bloquées et qui accueille des piles de viandes, morceaux d’agneau, de porc et de poulet. Dommage. Trop froid, pont trop glissant pour faire la fête dehors. Chacun rejoint ses quartiers avec une assiette pleine de bidoche et de maïs grillés. C’est le moment ou jamais. J’achète une bouteille de cognac, un VS Martell, la seule marque de cognac sur la liste des spiritueux hors taxes quand les marques de whisky pullulent. Rompant une règle non dite, Georg et Knut viennent s’aseoir à notre table de passagers.

Sharon


J’invite Sharon (au fond à gauche sur la photo) à se joindre à nous après son service. Sharon est un des seuls membres d’équipage à bord qui, en tant que steward, côtoie de près les officiers. Tout le monde l’aime bien à bord. « Un type efficace, qui a toujours le sourire, un type capable de supporter les dures conditions hivernales sur un cargo», me confie Georg. Sharon a une mère japonaise, un père philippin. Il a été cuisinier sur pas mal de cargos japonais, mais il préfère les bateaux allemands. « Ils paient mieux et savent le dire quand ils apprécient quelque chose », dit Sharon.
Son rêve ? Faire le commerce de voitures, sa passion, chez lui, aux Philipines. Mais il n’a pas encore assez d’argent pour ça. Le capitaine lui propose de faire pression pour que la compagnie Hapag Lloyd renouvelle son contrat sur l’Eilbek. « Thank you, Sir », dit Sharon.

“Sir”, une marque de déférence qu’utilise tous les subordonnés envers les officiers. Une marque qui rappelle que, même si Sharon est invité à s’asseoir à notre table, il demeure notre serviteur. Quand l’officier en second, assis juste derrière la tireuse, veut une bière, il tend son verre à Sharon, assis bien plus loin, pour se faire servir. Peu importe que Sharon ait terminé son service.
Georg, en revanche, est beaucoup plus respectueux. Ça se voit à ces petites choses, le fait de se lever pour faire lui-même son café et, du coup, celui du capitaine, la façon dont il plaisante avec Sharon aussi. D’égal à égal. Tous les officiers ne se comportent pas comme Tintin au Congo. Mais tous les Philippins, même les officiers, font comme s’ils étaient face à Tintin au Congo.

Vendredi 16 juin


La nuit a été bonne, le sommeil pronfond grâce aux deux verres de cognac. Au matin, la houle a disparu, le brouillard s’est levé. On est à quelques 300 km de la pointe sud du Groenland. On n’a pas encore vu d’icebergs. Une autre dépression arrive dans notre direction. Un ouragan venu de Floride qui remonte la côte américaine et se trouve actuellement au large de le Nouvelle-Ecosse, une des provinces maritimes du Canada. On devrait l’éviter. On l’aurait pris en pleine face si on avait emprunté la Manche en sortant du port d’Anvers. Notre route passe au contraire au nord de Terre-Neuve. Le problème du nord, c’est le froid. 6°C à l’extérieur, comme un retour en hiver. J’ai déjà deux polaires sur le dos, mais ça ne suffit pas. Je sors mes gants en laine de la valise.

Trop vite?



C’est vendredi. Je le sais grâce à ce journal. Sur le cargo, loin de tout, ça pourrait être n’importe quel jour, presque n’importe quelle heure. D’après le capitaine, on devrait arriver lundi soir dans le port de Montréal, soit en avance d’une journée sur notre horaire. Mais personne parmi les passagers n’a envie de débarquer si tôt. On tire presque la gueule. Déçus d’arriver trop vite. Déjà quatre jours à ne rien faire d’autre que manger, dormir, respirer. Il faut croire qu’on ne se lasse pas de cet état passif. De toute façon, on peut rester à bord jusqu’à mardi. Lundi soir, on fera une fête et on finira le cognac.

Le capitaine nous autorise, Anne et moi, à emprunter le pont étroit pour atteindre l’avant du bateau. Ça fait déjà belle lurette que l’équipage a terminé sa journée. La mer est calme, le vent a suivi. Et à l’avant, on n’entend plus du tout le bruit des machines. On file dans le silence, comme sur un voilier. A minuit, on est censé entrer dans l’espace des icebergs. Des blocs de glace qui se détachent de la banquise groenlandaise et redescendent le long de la côte est du Labrador, poussés par le courant du même nom. Trois ans après, on peut les voir en approchant Terre-Neuve. Le capitaine nous promet de nous appeler dès qu’il en voit.

Samedi 17 juin


3h15. Le téléphone sonne. Iceberg en vue. J’enfile un jean, un pull, prends mon appareil photo, ma caméra. Le soleil s’est couché peu avant minuit. Il se lève déjà derrière nous. Tous les passagers sont réveillés pour voir le spectacle. De la timonerie, on voit un point blanc à l’horizon. Sur le radar, il est déjà énorme. Il grossit à vue d’œil. On s’approche jusqu’à de 500 mètres. Pas plus. Personne, ni le radar, n’est capable de mesurer l’importance de la partie immergée. Un iceberg éfilé peut aussi se retourner sans prévenir, un salto dangereux si l’on est trop proche. D’autres navires feraient un large détour. On a la chance d’avoir un capitaine qui connaît l’Arctique et ose quand même s’approcher au maximum. Dehors, c’est un congélateur. On repart se coucher en sachant que d’autres icebergs seront visibles plus tard.

4h30. Le téléphone sonne à nouveau. Un morceau plus gros, qui ressemble à une couronne royale, surgit au loin. Puis encore deux autres. Des vaisseaux fantômes qui sortent de la bande de brouillard, comme des sentinelles qui feraient le guet. La vraie sentinelle est à la timonerie. Le « watchman » avec ses jumelles est chargé de repérer les petits morceaux blancs qui flottent ici et là, bouts détachés des icebergs qui n’apparaissent pas sur le radar. Je descends sur le pont 6. Juste au-dessus de l’eau, le Pyrénéen géant est encore plus impressionnant. Il change de couleur avec le soleil et les nuages, de forme aussi à mesure qu’on l’approche, puis le dépasse. Quel passager de croisière a droit à ce genre de spectacle ?


On ne se recouche pas. Sur le radar, à l’aide de jumelles, arrivent d’autres icebergs encore plus gros que les précédents. On va finir par être blasés. Même s’ils peuvent paraître petits de loin, il faut s’en méfier. La partie émergée de celui-là ? Environ 200 mètres de long, sur 100 mètres de large et 50 mètres de haut, calcule le capitaine.

13h. Dans le brouillard, on aperçoit la côte dénudée du Labrador. Et d’autres icebergs. On s’apprête à entrer dans le golfe du Saint-Laurent par la petite porte : le détroit de Belle-Ile, soit une vingtaine de kilomètres entre le Labrador, côté continent, et Belle-Ile, nommée d’après sa consoeur du Morbihan, inutilisable l’hiver à cause des glaces. Du bateau, on en distingue à peine les côtes. Ce sera la même chose avec Terre-Neuve plus tard dans la soirée, une superficie qui occuperait bien un tiers de la France métropolitaine, mais qui joue à cache-cache dans le brouillard. On n’est plus dans l’océan atlantique, on n’est pas encore dans le fleuve, mais dans un entre-deux qui ressemble encore drôlement à la mer. A la timonerie, Nico me file sa clé USB pour que je charge les photos que j’ai prises de lui et de quelques autres marins.

Dimanche 18 juin



Il fait chaud. Le thermomètre indique 16°C. Nico a vu un dauphin, mais pas encore de baleines. On file dans le détroit Jacques-Cartier. On longe l’île d’Anticosti, peuplée à ce qu’il paraît, de chevreuils consanguins. Sous nos pieds, cinq ponts et trois cents mètres d’eau encore salée. C’est presque officiel : les vagues vicieuses sont derrière nous, on a maintenant le droit d’aller jusqu’à la proue du navire sans demander d’autorisation. Avec Anne, je monte l’échelle qui permet d’accéder à un hâvre de paix et de silence, une dizaine de mètres plus haut. Loin, très loin du bruit du moteur, on domine la pointe avant du cargo, invisible de partout ailleurs. Le pied et une toute autre perspéctive sur la bête. On prend des photos. Le brouillard empêche toujours de voir les côtes. De toute façon, on doit être redescendues à 16h pour l’exercice d’évacuation qui se déroule bizarrement juste à la fin du voyage.

On ne peut pas dire que le capitaine joue sur l’effet de surprise. A bord, tout le monde est prévenu. Dans les couloirs, les marins sont prêts, gilet de sauvetage autour du cou. Ils attendent l’alarme générale pour monter au deck 8, là où se trouve le navire de secours. Klaus, lui, est même là avant que l’alarme sonne. L’efficacité germanique. Doy dirige les opérations. On doit monter – ou plutôt descendre - dans un drôle de bateau complètement penché vers l’arrière. C’est casse-gueule et ça ressemble à un gadget dans lequel s’échapperait James Bond après avoir démoli le siège du Spectre. Sauf que pour la scène finale, on est plus de vingt. Autant dire qu’on a dû mal à garder notre sérieux (surtout moi).

Le Saint-Laurent


20h. On s’approche de la station de pilote des Escoumins. L’embouchure du fleuve. On distingue maintenant les côtes. Derrière, un cargo nous rattrape, preuve qu’on retourne à la civilisation. 20h37. Dans la timonerie, via la radio, résonne la voix et l’accent caractéristique du premier Québécois. A l’autre bout du bateau, un marin hisse les drapeaux canadien et québécois. Le drapeau allemand a déjà été hissé à l’arrière. Comme dans l’Escaut à Anvers, un pilote est envoyé des Escoumins pour accompagner le navire dans le Saint-Laurent. Ça n’empêche pas toujours les carambolages. Dans le mess, au mur, un morceau de ferraille qui a dû être rouge, rappelle la collision avec un tanker. C’était il y a moins d’un an, en septembre 2005. Personne n’a été blessé, mais l’Eilbeck, lui, est passé sur la table d’opération. En guise de plâtre, il a quand même fallu cinquante tonnes d’acier !

Ils seront trois pilotes à se relayer jusqu’à Montréal. Deux changements, à Québec et à Trois-Rivières. Le premier, Robert Pouliot, dit « Bob », rentre chez lui à Québec pour une semaine de congés. On réduit la voilure. Un tout petit peu, de 20 à 18 nœuds. Mais dans trois heures, la marée descendante prendra le dessus et jouera contre nous. On devrait être sous le château Frontenac vers 3h30 du matin. Trop tôt au goût des passagers. Jean-Luc a trouvé un surnon au capitaine : Fend-la-bise.

Lundi 19 juin


3h. Téléphone. La ville de Québec est à portée de vue. Ou plutôt ses lumières. Celles de ses rues et du château Frontenac qui domine à l’horizon. Il fait chaud et moite. 26°C dit le thermomètre. En deux jours, on a fait un bond de 20°C. On se croirait presque sur le Mississipi, il ne manque que les bateaux à aube. Dans la nuit, apparaissent les chutes, toutes blanches, de Montmorency. On remonte le Saint-Laurent, mais on redescend vers le Sud. Le jour ne se lèvera pas avant 4h30. Bob nous quitte. Un nouveau pilote prend la relève jusqu’à Trois-Rivières. Je vais me recoucher. Mais j’aurais aussi bien pu rester debout. Dans la cabine, dans tout le bateau, les portes et toutes les armatures en fer font un bordel sans nom. Dans le chenal étroit, il n’y a que 11 mètres de tirant d’eau. Une faible profondeur qui accroit un bruit auquel on avait fini par s’habituer. « Mauvaise construction, mauvais design », c’est le verdict d’un pilote et de Jean-Luc.

Préparatifs avant l'arrivée


7h. On avance plus lentement, 16 nœuds. Trois-Rivières n’est plus très loin. L’effet de la marée ne se fait déjà plus sentir. La brume de chaleur prend la place du brouillard familier, mais laisse enfin voir les berges du fleuve, toutes proches. Des bras de terre peuplés d’arbres et de maisons en bois. Dans notre horizon, le vert remplace progressivement le bleu. Pour échapper au bruit infernal – même la timonerie, à 37 mètres de hauteur par rapport à la salle des machines, est contaminée – il n’y a qu’une solution : la proue. De là-haut, on voit l’équipage enlever les barres de sécurité sur les conteneurs. On croise de plus en plus de cargos, tandis que sur les rives défilent des bois, des usines, et des milliers de cabanes au Canada.

The end


En huit jours, on aura parcouru précisement 3180,5 milles marins, soit 5890,3 kilomètres. Ça va trop vite. A 12h30, on sera à Montréal. On arrive, on y est. Au loin, se détache la silhouette du parc olympique. Le centre ville, ses gratte-ciels, sont derrière, enveloppés par la brume. L’Eilbek est attendu sur le quai 79. Les grues sont déjà en activité, occupées à décharger un cargo de Rotterdam. 12h55. On est amarré. Le capitaine propose à Anne et moi de rester jusqu’au lendemain matin. Je pourrais dormir à bord ce soir, faire encore durer le plaisir. Mais le bateau s’est arrêté. Et avant même de poser le pied sur le sol canadien, j’ai comme une sensation bizarre. Un vertige, un truc que j’avais oublié de prévoir. Le mal de terre.

Epilogue

Après huit jours de vie commune, on ne pouvait pas partir comme ça. Un verre ce soir ou demain ? C’est encore mieux. Demain, mardi, on revient à 18h pour un barbecue géant avec tout l’équipage. Le départ pour Liverpool est prévu mercredi à 8h.